Tocqueville – Analyse du lien entre démocratie et étude des sciences

Alexis de Tocqueville dans le second tome de la Démocratie en Amérique analyse ce qui distingue l’apprentissage des sciences aux États-Unis, régime démocratique, de l’apprentissage de ces mêmes sciences dans d’autres pays, d’autres régimes.

Nous vous conseillons de ne pas vous arrêter à cet article, et de prolonger la lecture de Tocqueville sur le thème de l’éducation, des études, de la science, en lien avec la démocratie.

3 catégories de science

Pour mieux comprendre ce qui caractérise l’étude des sciences en démocratie, Alexis de Tocqueville prend soin d’abord de définir ce que sont ces sciences. Selon lui, il est possible de distinguer facilement 3 parties, que l’on pourrait résumer ainsi :

  1. La théorie très abstraite et peu applicable
  2. La théorie peu abstraite et très applicable
  3. Les moyens d’application

L’esprit peut, ce me semble, diviser la science en trois parts.

La première contient les principes les plus théoriques, les notions les plus abstrai­tes, celles dont l’application n’est point connue ou est fort éloignée.

La seconde se compose des vérités générales qui, tenant encore à la théorie pure, mènent cependant, par un chemin direct et court, à la pratique.

Les procédés d’application et les moyens d’exécution remplissent la troi­siè­me.

Chacune de ces différentes portions de la science peut être cultivée à part, bien que la raison et l’expérience fassent connaître qu’aucune d’elles ne saurait, prospérer longtemps, quand on la sépare absolument des deux autres.

Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique,

Or pour Alexis de Tocqueville, les Américains ont une tendance naturelle à l’application, au côté pratique.

Aux Etats-Unis, pays qu’il est venu étudier, il remarque que « Chacun s’agite« . Cette agitation permanente ne laisse aucun répit pour s’attarder sur des conception trop abstraites, pour rester dans l’imaginaire, dans le non concret. Au contraire, les Américains sont avides de mettre en pratique les connaissances :

« Au milieu de ce tumulte universel, de ce choc répété des intérêts contraires, de cette mar­che continuelle des hommes vers la fortune, où trouver le calme nécessaire aux pro­fondes combinaisons de l’intelligence ? » explique-t-il dans le Chapitre X du second tome De la Démocratie en Amérique.

Les manières d’étudier la science

Après avoir distingué les différentes sortes de sciences, il est plus aisé pour Alexis de Tocqueville d’expliquer en quoi les sociétés démocratiques ont une approche différence des sciences et du savoir.

Il oppose notamment les milieux aristocratiques et les milieux démocratiques.

  • Les sociétés aristocratiques sont davantages portées vers l’abstrait, et rejettent le matériel.
  • Les sociétés démocratiques en revanche désirent avant tout mettre en application leurs connaissances pour obtenir des richesses matérielles. Elles sont moins préoccupées par la joie pure et désintéressée du savoir, mais davantage par l’utilité et les effets des sciences.

Il y a plusieurs manières d’étudier les sciences. On rencontre chez une foule d’hom­mes un goût égoïste, mercantile et industriel pour les découvertes de l’esprit qu’il ne faut pas confondre avec la passion désintéressée qui s’allume dans le cœur d’un petit nombre ; il y a un désir d’utiliser les connaissances et un pur désir de connaî­tre. Je ne doute point qu’il ne naisse, de loin en loin, chez quelques-uns, un amour ardent et inépuisable de la vérité, qui se nourrit de lui-même et jouit incessamment sans pouvoir jamais se satisfaire. C’est Cet amour ardent, orgueilleux et désinté­ressé du vrai, qui conduit les hommes jusqu’aux sources abstraites de la vérité pour y puiser les idées mères. […]

Dans les temps aristocratiques, on se fait généralement des idées très vastes de la dignité, de la puissance, de la grandeur de l’homme. Ces opi­nions influent sur ceux qui cultivent les sciences comme sur tous les autres ; elles facilitent l’élan naturel de l’esprit vers les plus hautes régions de la pensée et la disposent naturellement à concevoir l’amour sublime et presque divin de la vérité.

Les savants de ces temps sont donc entraînés vers la théorie, et il leur arrive même souvent de concevoir un mépris inconsidéré pour la pratique. […]

La plupart des hommes qui composent [les nations démocratiques] sont fort avides de jouis­sances matérielles et présentes, comme ils sont toujours mécontents de la position qu’ils occupent, et toujours libres de la quitter, ils ne songent qu’aux moyens de changer leur fortune ou de l’accroître. Pour des esprits ainsi disposés, toute méthode nouvelle qui mène par un chemin plus court à la richesse, toute machine qui abrège le travail, tout instrument qui diminue les frais de la production, toute découverte qui facilite les plaisirs et les augmente, semble le plus magnifique effort de l’intelligence humaine. C’est principalement par ce côté que les peuples démo­cratiques s’attachent aux scien­ces, les comprennent et les honorent. Dans les siècles aristocratiques, on demande particulièrement aux sciences les jouissances de l’esprit ; dans les démocraties, celles du corps.

Comptez que plus une nation est démocratique, éclairée et libre, plus le nombre de ces appréciateurs intéressés du génie scientifique ira s’accroissant, et plus les découvertes immédiatement applicables à l’industrie donneront de profit, de gloire et même de puissance à leurs auteurs ; car, dans les démocraties, la classe qui travaille prend part aux affaires publiques, et ceux qui la servent ont à attendre d’elle des honneurs aussi bien que de l’argent.

Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique,

Cependant, Alexis de Tocqueville maintient des réserves. L’auteur prend bien soin en effet de ne pas affirmer de manière irrévocable, et laisse toujours des portes de sortie.

Tantôt il rappelle qu’il y a certainement des exceptions…

« Il n’est pas à croire que, parmi une si grande multitude, il ne naisse point de temps en temps quelque génie spéculatif que le seul amour de la vérité enflamme »

Tantôt il exprime sa perplexité, et laisse le temps faire le tri dans ses prédictions :

« L’avenir prouvera si ces passions, si rares et si fécondes, naissent et se dévelop­pent aussi aisément au milieu des sociétés démocratiques qu’au sein des aristocraties. Quant à moi, j’avoue que j’ai peine à le croire. »

C’est donc davantage de tendances dont il s’agit ici, plutôt que de déterminismes et de vérités implacables.

Sujet corrigé – « Les croyances dogmatiques » – Tocqueville, De la démocratie en Amérique

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