La monnaie dans le monde et en Europe

Qu’est-ce qu’un système monétaire international ? En quoi ont consisté ces systèmes monétaires jusqu’à aujourd’hui ?

Dans la première partie consacrée à l’histoire des système monétaires internationaux, vous apprendrez que l’or a été la ressource sur laquelle s’est basé le premier système monétaire international, que la guerre a détruit ce premier système, et que dans ses ruines la monnaie américaine a prospéré comme nouvelle référence mondiale. Comme pour la plupart des crises économiques, c’est une perte de confiance dans cette monnaie américaine qui a conduit à laisser les monnaies sans plus aucune référence fixe et donc à fluctuer sans cesse.

Dans la seconde partie, c’est plus précisément le cas de l’Europe qui sera étudié : en effet, plusieurs pays d’Europe s’associent pour tenter de stabiliser les monnaies, leur solution consistant à rendre chacune de leur monnaie nationale solidaire des autres monnaies voisines. Même si les disparités de développement économique entre pays européens rend difficile cette solidarité des monnaies, ce système a le mérite de donner de la crédibilité aux monnaies européennes. Pressés également par la liberté des échanges instaurée presque partout sur le continent, les dirigeants européens s’entendent pour adopter une monnaie commune, appelée « euro ».

Histoire des systèmes monétaires internationaux

L’étalon-or comme système monétaire international (jusqu’en 1944)

Les systèmes monétaires ne sont pas une nouveauté du vingtième siècle, et selon les critères sélectionnés peuvent même remonter à Isaac Newton qui théorise en 1717 des liens entre l’or et l’argent, comme acté par la reine Anne de son temps. De nombreuses unions monétaires, plutôt stables d’ailleurs, ont également cours bien avant notre siècle. C’est le cas de l’union latine de 1865 jusqu’en 1927, de la monnaie commune à l’union douanière allemande nommée Zollverein, ou par exemple encore l’union monétaire scandinave. Adopté par l’Allemagne en 1871, par l’union monétaire latine (Belgique, Italie, Suisse, France, Grèce) en 1873, par les États-Unis de facto la même année, puis par de nombreuses autres puissances, c’est alors le système de l’étalon-or qui est en vigueur. Ce système est particulièrement stable parce qu’il fait dépendre la valeur de la monnaie avec l’or, comme son nom l’indique (le mot « étalon » est un synonyme de « standard »), ce qui maintient aussi des taux de change stables.

Le système de l’étalon-or se brise toutefois plus tard, contre les conséquences économiques de la Première Guerre mondiale. Les dépenses extraordinaires engendrées par la guerre conduisent les États à renoncer à ce système, en arrêtant la possibilité de convertir les billets et en imprimant davantage de monnaie qu’ils n’ont d’or, espérant retrouver ces sommes grâce aux réparations de guerre lorsqu’ils seront sortis victorieux. S’ensuivent trois conséquences :

  1. L’inflation, résultat de cette énorme création monétaire, est donc très forte chez ces États belligérants.
  2. Les États belligérants sortent évidemment ruinés de la guerre.
  3. Les États-Unis, qui avaient des dettes envers les pays européens sont désormais les créanciers de ces puissances.

Pour remplacer le système étalon-or qui vient de s’effondrer, une conférence à Gênes en 1922 tente une seconde version de ce système monétaire, et encourage les États à revenir à l’étalon-or. Toutefois, l’extrême fragilité de cette initiative porte plutôt à l’isolationnisme, et au lieu d’un système international, la réalité consiste plutôt en une pluralité de zones économiques : or, dollar, livre sterling… C’est à ce moment qu’intervient la Grande dépression, que l’on date de la crise boursière de 1929 jusqu’en 1939, début de la Seconde Guerre mondiale.

Le dollar : nouveau pivot du système monétaire international (1944-1971)

L’enjeu est donc grand lors de la conférence de Bretton Woods, en juillet 1944, pour rétablir la confiance en un nouveau système monétaire international. La solution apportée, sous l’influence des économistes britannique J. M. Keynes et américain H. D. White, consiste à enchaîner les monnaies à l’or mais via le dollar. Le dollar est la monnaie internationale de référence, puisque chaque monnaie est convertible avec le dollar, mais il trouve lui-même la garantie de sa valeur grâce à l’or (avec un taux exact de 35 dollars l’once d’or). Cela est possible grâce aux réserves en or très importante, correspondant à environ trois quarts du stock global. Les États-Unis sont en effet sortis économiquement stimulés par la guerre, ils possèdent la plupart des capitaux mondiaux, et sont les plus grands exportateurs du monde avec une capacité de production gigantesque. Deux institutions sont créées à cette occasion : le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD).

Les échanges commerciaux en Europe reprennent donc après la Seconde Guerre mondiale, et les pays se reconstruisent. Cependant, en ce milieu du XXe siècle, les états européens se trouvent rapidement confrontés à un manque de dollar. Les monnaies européennes ne peuvent pas être converties en dollar, et par conséquent ce manque de dollar risque de constituer un frein important de l’économie mondiale. L’expression dollar gap fait référence à ce phénomène.

C’est ce problème que cherche à résoudre l’Union européenne des paiements (UEP) dans le cadre de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE). Pour rappel, l’OECE était une organisation chargée de répartir et de gérer l’aide des États-Unis aux états européens pour se relever de la seconde guerre mondiale, que l’on appelle le plan Marshall. L’UEP atteint son objectif et se dissout donc à la toute fin de l’année 1958, juste huit ans après sa création. Elle a donc notamment permis de régénérer la confiance mutuelle des pays européens dans leurs échanges commerciaux.

Le dollar s’effondre, il est remplacé par un régime de changes flottants (à partir de 1971)

Compte tenu de sa nature même, la stabilité du système monétaire international de Bretton Woods dépend donc naturellement de la devise des États-Unis, le dollar. Or, c’est précisément la fragilité de cette monnaie qui va emporter avec elle le système de Bretton Woods. Il est possible d’identifier trois ressorts dans la perte de solidité de l’économie américaine :

  1. L’aide des États-Unis, financière et militaire, au reste du monde libre demeure conséquente.
  2. Les délocalisations sont de plus en plus importantes, les entreprises tirant davantage de bénéfices en se basant à l’étranger.
  3. La concurrence des deux grands autres pôles économiques que sont le Japon et l’Europe.

Cela entraîne des déficits, que les États-Unis paient bien sûr en dollar, puisqu’il s’agit de la monnaie internationale. Par ailleurs, pour la même raison que la dollar est la monnaie internationale, cette devise est de plus en plus demandée sur le continent européen. Des banques basées en Europe commencent alors à proposer des crédits avec la monnaie des États-Unis, entraînement comme tout crédit une création de monnaie. Ces « euro-dollars » qui grandissent beaucoup trop vite, et dépassent largement les réserves d’or aux États-Unis (ces réserves correspondent à 80% du stock mondial en 1949, contre seulement 31% en 1971) sont donc précisément ce qui conduit à l’effondrement du système de Bretton Woods.

En effet, les acteurs économiques dans le monde craignent que le dollar n’ait plus la valeur stable promise par les autorités, et préfèrent donc convertir leurs actifs en or plutôt qu’en dollar. Malgré les freins posés à la conversion du dollar en or, les réserves d’or américaines diminuent de plus en plus. Richard Nixon, alors président des États-Unis, prend donc la décision de révoquer la convertibilité du dollar en août 1971.

Deux ans plus tard, en 1973, le système de taux de change fixes s’effondre complètement. Il est remplacé par un régime de changes flottants : désormais, les valeurs des monnaies varient les unes par rapport aux autres, en fonction des forces du marché du moment. Ainsi, une monnaie très demandée s’appréciera (taux de change plus élevé donc), et inversement pour une monnaie plutôt offerte. L’or n’est plus une référence en matière de monnaie, et il n’y a plus officiellement de monnaie internationale. Théoriquement appuyé sur la pensée de Milton Friedman, pour qui seul le marché permet d’atteindre l’optimum économique, le système de taux de change flottants s’équilibrera tout seul.

Les pays européens en quête d’un système monétaire plus stable

Des monnaies solidaires pour une meilleure stabilité (1972-1993)

Les états européens cherchent alors à apporter leur propre solution de stabilité qui devra en outre soutenir leur politique commune en matière d’agriculture. En effet, les six états membres de la Communauté économique européenne (CEE), qui viennent en 1968 de réaliser une union douanière, c’est-à-dire d’instaurer le même tarif douanier à l’extérieur de leurs frontières, tout en abolissant tout droit de douane à l’intérieur de cette communauté, veulent donner corps à leur projet européen grâce à une certaine solidarité de leurs monnaies (c’est-à-dire que les monnaies dépendent les unes des autres). À cette fin est donc instauré le Serpent monétaire européen en avril 1972.

Par le Serpent monétaire européen (SME), les monnaies européennes se trouvent resserrées au sein d’un tunnel. Dit de façon chiffrée, le Serpent monétaire européen impose de ne jamais dépasser un plafond de +2,25%, et parallèlement, un plancher de -2,25%. Toutefois, ce nouveau dispositif ne résistera pas non plus aux troubles de l’économie durant cette décennie. Le dollar continue de se déprécier, c’est-à-dire perdre de sa valeur, entraînant individuellement les monnaies européennes dans sa chute, alors contraintes de quitter le Serpent monétaire européen. Le choc pétrolier à la fin 1973 provoque aussi inflation et déficits commerciaux, nécessitant une fois de plus un nouveau modèle : le Système monétaire européen.

En effet, c’est après de vives négociations et sans réelle conviction qu’est annoncé en mars 1979 un nouveau mécanisme de change, le Système monétaire européen. Ce nouveau système se veut comme une réponse aux problèmes des flottements de monnaie depuis 1973, source de grande instabilité, une solution aux défaillances du serpent monétaire européen, mais aussi une chance de relance du projet de construction européenne. Le président français Valéry Giscard d’Estaing et le chancelier de l’Allemagne de l’Ouest Helmut Schmidt jouent un rôle déterminant pour aboutir à cet accord du système monétaire européen.

Ce système d’initiative franco-allemand mais valable pour l’ensemble de la CEE, constituée alors de neuf membres, propose donc de lier les monnaies européennes à un étalon de référence, appelé European Currency Unit (ECU). Cet ECU se base sur un calcul entre les monnaies de tous les pays membres, mais de façon proportionnelle à leur poids économique. Par ailleurs, cet ECU sert de nouvelle monnaie entre les banques centrales, qui devront offrir des garanties pour permettre l’émission de nouveaux ECU. En bon successeur du serpent monétaire européen et en ouvrant la possibilité à des réajustements et à un mécanisme de solidarité entre elles, ces banques centrales adhérentes s’engagent aussi à ne pas faire fluctuer le taux de change de plus ou moins 2,5%.

Bien que la parité ait dû être réajustée de nombreuses fois, le système monétaire européen tient le choc contre les turbulences économiques mondiales, jusqu’à sa disparition en 1993. Notamment, il a permis de juguler l’inflation des monnaies européennes jusque dans les années 2000, et de donner plus tard à l’euro un vrai rôle sur la scène internationale en s’affranchissant du dollar. Toutefois au sein du SME, le décalage entre une monnaie aussi forte que le mark allemand et les monnaies plus faibles ont obligé les autres économies européennes plus faibles à mener une politique d’austérité et a pu peser sur la croissance. Enfin, les marges de fluctuations n’ont plus tenu en 1993, et ont alors été élargies à plus ou moins 15%.

La coopération nécessaire dans la zone euro (1960-1992)

Comme l’a mis en valeur l’économiste canadien Robert Mundell au début des années 1960, avec l’économiste britannique John Marcus Fleming, la liberté de circulation des capitaux est incompatible avec la combination : liberté de politiques monétaires souveraines et taux de change fixe. Ce triangle des incompatibilités est la théorie expliquant qu’il ne sera jamais possible de réunir ces trois dimensions simultanément : 1) régime de change fixe, 2) libre circulation des capitaux et 3) autonomie des politiques monétaires. Cette logique est celle qui a précipité une coopération approfondie des états européens, qui se doivent alors de s’organiser autour d’une union monétaire.

Les études se multiplient donc pour évaluer les avantages et les inconvénients à une monnaie unique :

Inconvénients d’une monnaie unique

D’un côté, une telle décision aurait pour effet de faire perdre aux états leur autonomie en terme de politique économique, imposant une collaboration unique et difficile entre tous les états adhérant à cette monnaie unique ; ainsi, il ne serait plus possible pour les états d’absorber individuellement les chocs, ou d’ajuster individuellement la valeur de leur monnaie pour se rendre plus compétitif à l’international.

Avantages d’une monnaie unique

De l’autre côté, les arguments en faveur d’une monnaie unique mettent en avant bien sûr la fin des coûts de transaction, qui sont les coûts appliqués par les banques à la conversion et qui freinent le marché unique ; la fin de l’instabilité des valeurs des monnaies des pays membres à cette union entre eux (naturellement, cela ne joue pas hors de l’union, vis-à-vis du dollar par exemple) ; le gain de transparence et d’homogénéité, permettant aux acteurs économiques de décider plus facilement, ce qui doit favoriser le développement économique ; enfin, l’opportunité de gagner une stature internationale grâce à une monnaie importante et crédible.

C’est surtout en regard de la politique agricole, voulue commune depuis 1957, que l’euro est encouragé, puis totalement approuvé et officialisé par les dirigeants européens en 1992 par le traité de Maastricht, ce même traité qui fonde l’Union européenne.

La convergence des économies européennes (1992-2021)

Afin de maximiser les bénéfices de l’union monétaire qui est décidée, la convergence des économies semble une condition essentielle. Cette tentative pour les membres de l’Union européenne de faire converger leurs économies, surtout à partir du traité de Maastricht signé en février 1992, correspond à une politique appelée Union économique et monétaire, en abrégé UEM (désignée de façon équivalente Union monétaire européenne, en abrégé UME).

Les débuts de l’Union économique et monétaire, comme politique visant à rapprocher les économies européennes, datent véritablement de juin 1989, lorsqu’il est décidé de rendre libre le mouvement des capitaux (les biens possédés, comme l’argent), un peu avant l’euro donc.

La mise en place de l’euro est une nouvelle étape : cette monnaie est créée par les textes en 1992, nommée en 1995, introduite virtuellement en 1999, matérialisée par des billets et pièces le 1er janvier 2002.

L’Union économique et européenne reste un enjeu au moins jusqu’à la décennie commençant le 1er janvier 2021, la question principale s’intéressant à l’opportunité ou non d’une politique monétaire voire budgétaire unique, grâce à un hypothétique gouvernement économique européen.

La crise financière mondiale de 2007 à 2010, puis celle des dettes de certains pays de la zone euro surtout entre 2010 et 2013, sont alors les deux marqueurs à l’aune desquels les gouvernements interprètent et proposent la mise en place de nouvelles solutions. Entre 2020 et 2022, c’est la crise sanitaire du covid qui frappe l’économie mondiale de façon inédite.

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