La plus utile et importante règle pour élever un enfant – Jean-Jacques Rousseau

Après avoir découvert quelles étaient les 3 sortes d’éducation, et leur but, il faut dégager les principes qui feront d’une éducation la meilleure façon d’élever un enfant.

Comprendre pourquoi l’éducation jusqu’alors n’est pas à la hauteur et n’est pas bénéfique aux hommes, c’est immédiatement identifier ce qu’il faut faire pour produire une bonne éducation, pour aider au développement de l’enfant.

Et de manière presque paradoxale, Rousseau affirme en matière d’éducation les bienfaits du laisser-faire contre les dégâts de la contrainte et de tout ce qui est inculqué à l’enfant, du moins aux débuts de l’enfance – Rousseau parle en particulier de la naissance jusqu’à l’âge de 12 ans.

Pourquoi depuis le début on a mal éduqué les hommes

Il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de démocratie ! – Jean-Jacques Rousseau

Selon Jean-Jacques Rousseau, l’homme n’a jamais su éduquer convenablement les enfants. Insistons sur le mot jamais : « depuis qu’on se mêle d’élever des enfants« , c’est-à-dire depuis que cette éducation s’est en quelque sorte institutionnalisée, depuis que l’homme s’est donné pour mission d’éduquer les enfants, depuis qu’il est conscient de cette pratique éducative.

Rousseau part du principe qu’à la naissance, le coeur d’un enfant est pur. Or pour inculquer des principes, pour éduquer, les adultes ont pris l’habitude de solliciter et de faire naître de mauvaises habitudes chez l’enfant. On peut penser ici à la compétition, au châtiment promis si l’enfant n’obtient pas de résultats suffisants, ou même la récompense que l’on fait miroiter dans le cas où il obtiendrait de bons résultats.

Cette éducation, c’est donc un acharnement contre l’enfant. C’est pourquoi Rousseau préconise d’arrêter : il faut laisser l’enfant. Son cœur est pur, et il faut préserver ce cœur pur.

Il est bien étrange que, depuis qu’on se mêle d’élever des enfants, on n’ait imaginé d’autre instrument pour les conduire que l’émulation, la jalousie, l’envie, la vanité, l’avidité, la vile crainte, toutes les passions les plus dangereuses, les plus promptes à fermenter, et les plus propres à corrompre l’âme, même avant que le corps soit formé. À chaque instruction précoce qu’on veut faire entrer dans leur tête, on plante un vice au fond de leur coeur; d’insensés instituteurs pensent faire des merveilles en les rendant méchants pour leur apprendre ce que c’est que bonté; et puis ils nous disent gravement: Tel est l’homme, Oui, tel est l’homme que vous avez fait.
On a essayé tous les instruments, hors un, le seul précisément qui peut réussir: la liberté bien réglée. (…) Ne donnez à votre élève aucune espèce de leçon verbale; il n’en doit recevoir que de l’expérience: ne lui infligez aucune espèce de châtiment, car il ne sait ce que c’est qu’être en faute: ne lui faites jamais demander pardon, car il ne saurait vous offenser. Dépourvu de toute moralité dans ses actions, il ne peut rien faire qui soit moralement mal, et qui mérite ni châtiment ni réprimande. (…)

Posons pour maxime incontestable que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits: il n’y a point de perversité originelle dans le coeur humain; il ne s’y trouve pas un seul vice dont on ne puisse dire comment et par où il y est entré. La seule passion naturelle à l’homme est l’amour de soi-même, ou l’amour-propre pris dans un sens étendu. Cet amour-propre en soi ou relativement à nous est bon et utile; et, comme il n’a point de rapport nécessaire à autrui, il est à cet égard naturellement indifférent; il ne devient bon ou mauvais que par l’application qu’on en fait et les relations qu’on lui donne. Jusqu’à ce que le guide de l’amour-propre, qui est la raison, puisse naître, il importe donc qu’un enfant ne fasse rien parce qu’il est vu ou entendu, rien en un mot par rapport aux autres, mais seulement ce que la nature lui demande; et alors il ne fera rien que de bien.

Jean-Jacques Rousseau

Laissez les enfants casser les meubles

Résumé du 1er livre du Contrat social de Rousseau

Cette formule provocatrice, laissez les enfants casser les meubles, correspond pourtant à la nécessité évoquée ci-dessus : laissez votre enfant avec son coeur pur, laissez-le expérimenter, ne le blâmez pas.

Certes si vous pouvez sauver quelques meubles, par exemple en ne les exposant pas, en changeant les objets précieux par des objets sans intérêt, de sorte que votre enfant ne les cassera pas : faites le. Mais si jamais il s’avère que votre enfant casse le meuble auquel vous teniez tant, si jamais il brise les vitres de votre appartement, ne le punissez pas. Prenez-en à vous-même de n’avoir pas été assez précautionneux, car cet enfant au cœur pur ignore tout de ce qu’il vient de faire, il a simplement suivi sa nature.

Je n’entends pas qu’il ne fera jamais de dégât, qu’il ne se blessera point, qu’il ne brisera pas peut-être un meuble de prix s’il le trouve à sa portée. Il pourrait faire beaucoup de mal sans mal faire, parce que la mauvaise action dépend de l’intention de nuire, et qu’il n’aura jamais cette intention. S’il l’avait une seule fois, tout serait déjà perdu; il serait méchant presque sans ressource.
Telle chose est mal aux yeux de l’avarice, qui ne l’est pas aux yeux de la raison. En laissant les enfants en pleine liberté d’exercer leur étourderie, il convient d’écarter d’eux tout ce qui pourrait la rendre coûteuse, et de ne laisser à leur portée rien de fragile et de précieux. (…)
Que si, malgré vos précautions, l’enfant vient à faire quelque désordre, à casser quelque pièce utile, ne le punissez point de votre négligence, ne le grondez point; qu’il n’entende pas un seul mot de reproche; ne lui laissez pas même entrevoir qu’il vous ait donné du chagrin; agissez exactement comme si le meuble se fût cassé de lui-même; enfin croyez avoir beaucoup fait si vous pouvez ne rien dire.

Jean-Jacques Rousseau –

Perdre du temps : la plus importante de toutes les règles

La meilleure législation au monde ? La devise française ! – Rousseau

Pour Rousseau, le temps de l’oisiveté, le temps de l’expérience inoffensive, le temps de l’insouciance est essentiel à la construction, au développement, et donc à l’éducation d’un homme. C’est pourquoi il faut préserver cette période sacrée pour l’enfant. Laissez-votre enfant respirer, faire ce qu’il veut, laissez la nature agir en lui, invite Rousseau.

Le risque est de vouloir trop tôt orienter, guider, et contraindre l’enfant, sans même savoir ce vers quoi sa nature le pousse. Ce comportement serait néfaste, et ferait perdre davantage encore de temps pour rattraper les dégâts. Au contraire, il faut laisser le temps à l’enfant pour découvrir ses inclinaisons personnelles, pour découvrir comment il s’épanouit, ce qu’il est réellement appelé à faire. Ce n’est qu’ainsi qu’on pourra l’encourager dans cette voie, et lui donner une bonne éducation.

Il est intéressant aussi de noter que Rousseau mentionne l’âge de 12 ans, comme le point jusqu’auquel il faut garantir cette bonne éducation et préserver le cœur innocent de l’enfant.

Oserais-je exposer ici la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation? ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre. Lecteurs vulgaires, pardonnez-moi mes paradoxes: il en faut faire quand on réfléchit; et, quoi que vous puissiez dire, j’aime mieux être homme à paradoxes qu’homme à préjugés. Le plus dangereux intervalle de la vie humaine est celui de la naissance à l’âge de douze ans. C’est le temps où germent les erreurs et les vices, sans qu’on ait encore aucun instrument pour les détruire; et quand l’instrument vient, les racines sont si profondes, qu’il n’est plus temps de les arracher. Si les enfants sautaient tout d’un coup de la mamelle à l’âge de raison, l’éducation qu’on leur donne pourrait leur convenir; mais, selon le progrès naturel, il leur en faut une toute contraire. Il faudrait qu’ils ne tissent rien de leur âme jusqu’à ce qu’elle eût toutes ses facultés; car il est impossible qu’elle aperçoive le flambeau que vous lui présentez tandis qu’elle est aveugle, et qu’elle suive, dans l’immense plaine des idées, une route que la raison trace encore si légèrement pour les meilleurs yeux.
La première éducation doit donc être purement négative. Elle consiste, non point à enseigner la vertu ni la vérité, mais à garantir le coeur du vice et l’esprit de l’erreur.
(…)
Exercez son corps, ses organes, ses sens, ses forces, mais tenez son âme oisive aussi longtemps qu’il se pourra. Redoutez tous les sentiments antérieurs au jugement qui les apprécie. Retenez, arrêtez les impressions étrangères: et, pour empêcher le mal de naître, ne vous pressez point de faire le bien; car il n’est jamais tel que quand la raison l’éclaire. Regardez tous les délais comme des avantages: c’est gagner beaucoup que d’avancer vers le terme sans rien perdre; laissez mûrir l’enfance dans les enfants. Enfin, quelque leçon leur devient-elle nécessaire? gardez-vous de la donner aujourd’hui, si vous pouvez différer jusqu’à demain sans danger.
Une autre considération qui confirme l’utilité de cette méthode, est celle du génie particulier de l’enfant, qu’il faut bien connaître pour savoir quel régime moral lui convient. Chaque esprit a sa forme propre, selon laquelle il a besoin d’être gouverné (…)
Ne faites donc pas comme l’avare qui perd beaucoup pour ne vouloir rien perdre. Sacrifiez dans le premier âge un temps que vous regagnerez avec usure dans un âge plus avancé. Le sage médecin ne donne pas étourdiment des ordonnances à la première vue, mais il étudie premièrement le tempérament du malade avant de lui rien prescrire; il commence tard à le traiter, mais il le guérit, tandis que le médecin trop pressé le tue.

Jean-Jacques Rousseau –

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