Correction – État démocratique – Spinoza

Ce sujet est notamment tombé à l’épreuve de philosophie du bac 2015.

« Dans un État démocratique, des ordres absurdes ne sont guère à craindre, car il est presque impossible que la majorité d’une grande assemblée se mette d’accord sur une seule et même absurdité. Cela est peu à craindre, également, à raison du fondement et de la fin de la démocratie, qui n’est autre que de soustraire les hommes à la domination absurde de l’appétit et à les maintenir, autant qu’il est possible, dans les limites de la raison, pour qu’ils vivent dans la concorde et dans la paix. Ôté ce fondement, tout l’édifice s’écroule aisément. Au seul souverain, donc, il appartient d’y pourvoir; aux sujets, il appartient d’exécuter ses commandements et de ne reconnaître comme droit que ce que le souverain déclare être le droit.
Peut-être pensera-t-on que, par ce principe, nous faisons des sujets des esclaves ; on pense en effet que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon son caprice. Cela cependant n’est pas absolument vrai ; car en réalité, celui qui est captif de son plaisir, incapable de voir et de faire ce qui lui est utile, est le plus grand des esclaves, et seul est libre celui qui vit, de toute son âme, sous la seule conduite de la raison. »

SPINOZA, Traité théologico-politique (1670)

Contexte de cet extrait du Traité théologico-politique de Baruch Spinoza

L’auteur Baruch Spinoza

Spinoza est né à Amsterdam en 1632. Si la connaissance de sa biographie n’est pas indispensable pour comprendre cet extrait, elle pouvait vous aider beaucoup en l’occurrence. Il faut savoir que ses œuvres ne sont pas parues de son vivant sous son nom, hormis une seule en réaction à la philosophie de Descartes. Spinoza n’aura eu de cesse en effet de préserver sa liberté de penser contre les insultes et les attaques qu’il a subies au cours de sa vie, notamment après son excommunication de la communauté juive. Le Traité théologico-politique cristallise beaucoup de ces attaques, si bien qu’être qualifié de « spinoziste » devient une insulte.

Contexte

Le Traité théologico-politique paraît anonymement en 1670, juste avant que Louis XIV n’attaque les Provinces-Unies, provoquant la prise de pouvoir du parti de Guillaume d’orange et que les frères De Witt soient assassinés, ce qui fait craindre le retour de la censure pour motifs religieux.

Explication de l’extrait

Relevons les idées principales de cet extrait du Traité théologico-politique :

Spinoza commence par justifier à partir de deux arguments le bienfondé de l’Etat démocratique contre l’autoritaire. Le premier est le suivant :

Dans un État démocratique, des ordres absurdes ne sont guère à craindre, car il est presque impossible que la majorité d’une grande assemblée se mette d’accord sur une seule et même absurdité.

Le nombre de citoyens permet de diminuer les risques de se tromper unanimement de manière grotesque.

Cela est peu à craindre, également, à raison du fondement et de la fin de la démocratie, qui n’est autre que de soustraire les hommes à la domination absurde de l’appétit et à les maintenir, autant qu’il est possible, dans les limites de la raison, pour qu’ils vivent dans la concorde et dans la paix.

2e argument, l’Etat démocratique permet de se préserver contre l’autoritaire grâce à la fonction même de l’Etat démocratique, qui est de vouloir le bien des sujets. La raison s’oppose ici à l’appétit, qui serait dérégulé et non maîtrisé.

Ôté ce fondement, tout l’édifice s’écroule aisément. Au seul souverain, donc, il appartient d’y pourvoir; aux sujets, il appartient d’exécuter ses commandements et de ne reconnaître comme droit que ce que le souverain déclare être le droit.

Attention, l’écueil ici était de se méprendre sur ce qu’est le souverain : Spinoza n’entend pas par souverain un individu, un monarque, qui aurait tous les pouvoirs. Pour Spinoza, le souverain peut être une personne dans le sens d’une collectivité : c’est par le contrat social, et donc par l’adhésion de tous, que se constitue le souverain.

Peut-être pensera-t-on que, par ce principe, nous faisons des sujets des esclaves ; on pense en effet que l’esclave est celui qui agit par commandement et l’homme libre celui qui agit selon son caprice.

Spinoza prend en quelques sortes les devants en écartant immédiatement une mauvaise conclusion qui pourrait être tirée de ce qu’il vient de dire. Cette conclusion tirée à tort, la voici : du simple fait que l’homme obéisse, il serait esclave. C’est une mauvaise déduction que Spinoza va réfuter.

Cela cependant n’est pas absolument vrai ; car en réalité, celui qui est captif de son plaisir, incapable de voir et de faire ce qui lui est utile, est le plus grand des esclaves, et seul est libre celui qui vit, de toute son âme, sous la seule conduite de la raison.

Spinoza propose une nouvelle définition de la liberté, plus juste : la liberté, ce n’est pas faire tout ce que l’on souhaite, mais c’est se guider par sa raison. Au contraire, est esclave non pas celui qui obéit, mais celui qui n’agit pas par sa raison, c’est-à-dire qui vit selon ses caprices, ses souhaits et ses passions sans les réguler par la raison. Grâce à ces explications de ce qu’est la liberté, Spinoza peut justifier l’idée d’un contrat social, dont découlerait le souverain, et qui commanderait aux hommes. Pour autant, la raison aboutit à concevoir un Etat démocratique, qui demeure une garantie contre l’arbitraire.

Et vous, quel plan auriez-vous adopté pour ce sujet ?

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